mardi 8 janvier 2008

pourquoi les poubelles étaient elles éventrées ?


Pourquoi les poubelles étaient elles éventrées ?

Cela fait maintenant deux jours que l'invasion a pris fin. Les invasions nocturnes quotidiennes ont donc repris normalement leur cours.

Hier fut une journée que chacun a consacré à visiter ses proches, à s'enquérir de la situation des un et des autres, à aider à réparer ou nettoyer.

Apercevoir les militaires de mon immeuble descendre leurs poubelles m'avait amusé mais il semble que beaucoup de Naplousis n'aient pas eu notre chance.

Le sadisme dont les soldats ont fait preuve dépasse l'entendement. Une famille de 6 personnes (un couple et leurs 4 enfants) habitant un immeuble voisin a été enfermée pendant les trois jours dans une seule pièce, ils ont été privés de nourriture pendant que leurs occupant jetaient leur restes à leurs pieds, aucune cigarette ne leur a été autorisée, il leur a fallu supplier pour chaque passage aux toilettes... Lorsqu'ils ont enfin été libérés, leur maison était couverte de détritus, de débris de verres. Leurs toilettes étaient débordantes d'excréments et pour cause : elles avaient été bouchée sciemment à l'aide d'une serviette.

Des histoires comme celle-ci, lorsqu'on habite Naplouse, on en entend des dizaines, des centaines mais comme je n'ai pas grandit ici, il y a encore tant qu'il me reste à comprendre.

En rentrant chez moi, samedi soir j'ai commencé à m'interroger sur ces fameuses poubelles éventrées en bas de chez moi. Pourquoi répandre de cette façon dans la rue des ordures qu'on a prit de temps de ramasser et de déposer dans des bennes ? Tout en me posant cette question, il me revenait en mémoire ces gamins qui tournaient autour.

J'ai finit par demander à Wajdi qui a confirmé mon intuition. "Pourquoi penses-tu qu'ils fouillaient dans ces poubelles ?" m'a-t-il demandé, "je ne sais pas, par curiosité peut-être" me suis-je risquée, "ils fouillent dans les poubelles parce qu'ils ont faim, ils cherchent des restes de sandwichs ou de biscuits laissés".

J'ai eu envie de vomir, de pleurer, de hurler. Ils vivent en face de chez moi ces petits. Comment ne m'en suis-je pas rendu-compte jusqu'à aujourd'hui ? Même en les voyant tourner autour des bennes, je n'ai pas compris. Devant mes yeux, il y avait des gosses crevant de faim et je n'ai pas vu. Je n'ai pas vu parce que c'est hors de mon entendement tout simplement. Alors comment puis-je vous l'expliquer ?

Derrière les "chiffres officiels" se cachent tellement d'histoires et tellement d'histoires ne sont pas inclues dans les chiffres officiels.

Invasion de Nablus du 3 au 6 Janvier 2007.

At least 38 person had been injured (sources: UPMRC), the Governor of Nablus Jamal Moheisen, declared the number of wounded 40, including 1 critical case. All the injured were civilians, at least 4 are children and 1 ambulance driver.

More than 40 persons had been taken to the Israeli prison during the invasion. Six of them were from the resistance the others were civilians, including one paramedic from medical relief and one from the red cross. The head of the voluntary work in Medical Care Committee in Nablus had been arrested.

Shaer Sa'ed -head of Palestinian workers Union- estimates that the damages of this invasion will cost at least 40 millions NIS to the municipality of Nablus.

samedi 5 janvier 2008

fin de l'invasion... ou pas



Fin de l’invasion… ou pas

Ce matin, Thaer et sa famille, ont fuit l'immeuble malgré le nombre encore supérieur de militaires et l'élargissement de la zone d'invasion.

Wajdi les accompagnait.

Il est revenu environ deux heures plus tard avec une équipe médicale. Ils étaient complètement épuisés et assoiffés.

De justesse, ils venaient de rescaper une femme et ses trois enfants. Une bombe lacrymogène avait été lancée dans leur appartement, comme celui-ci est à moitié enterré, la fumée les avait encerclés en quelques secondes, les aveuglant et les asphyxiant. De l'oxygène pour les enfants a suffit mais leur mère, qui est restée plus longtemps exposée, parce que les urgentistes ne parvenaient pas à la retrouver, est dans un état critique.

Le docteur de l'équipe, une jeune diplômée, a examiné ma belle mère. Ce fut un soulagement pour nous car ces derniers jours sa santé était préoccupante. Finalement c'est une simple réaction allergique, probablement due aux gaz, qui avait déclenché une crise d'asthme. En attendant la fin de l'invasion un peu de ventoline devrait la calmer. Ils nous ont fournit les médicaments et du pain et sont repartis.

Des fenêtres, des habitants les appelaient, ils n'ont pu en secourir que quelques uns. Sur 9 familles qu'ils ont visitées les 9 nécessitaient des soins.

A 14h45, les soldats qui occupaient l'appartement de Thaer ont commencé à descendre des dizaines de sacs et de cartons, j'en ai même vu descendre les poubelles. Dix minutes plus tard, plus un bruit. En un instant nous ouvrons tous nos portes "ils sont partis ?" "ils sont partis !!" On entendrait presque des youyous de victoires, les petits se ruent dehors, dévalent les escaliers en hurlant. Les adultes ahuris sortent sur les paliers, demandent des nouvelles les uns aux autres. J'aperçois ma belle mère faire une prière que je sais être de remerciement. Mon beau-père entre dans l'appartement de Thaer "c'est vide", nous entrons tous. Un subtil parfum, mélange de merde, de gaz et de rance nous empoigne. Le spectacle est désolant. Je pense à ce que j'aurais ressentit si j'avais retrouvé dans cet état notre appartement, notre chambre dont nous venons de finir la décoration.

Petit à petit nous voyons les autres véhicules quitter notre rue puis notre quartier. Mon beau-père est inquiet pour son magasin, alors Wajdi et moi sortons pour aller constater les dégâts.

Nous croisons beaucoup de gens en pyjamas venus s'enquérir de la santé de leurs proches, de l'état de leurs commerces. Les rues sont couvertes de détritus, d'eau, de cartouches vides. L'odeur du gaz est si tenace qu'elle nous prend encore la gorge et nous brule les yeux. De nombreuses portes ont été explosées, la plupart des stores des magasins ont été détruits vomissant leurs marchandises. Une bonne étoile veille sur nous, le magasin de mon beau-père est intact.

En moins d'une demi-heure, les ruelles de la vieille ville sont noires de monde. J'entends crier "Allah Ouakbar" et je vois défiler des dizaines de jeunes courant et applaudissant. Wajdi m'indique qu'ils sont venus fêter la poignée de résistants qui ont survécu. Je n'aime pas ces mouvements de foules, je commence à m'interroger. Pourquoi l'armée israélienne a-t-elle quitté la ville en plein milieu de l'après midi et en quelques minutes ? Je suis prise de panique, c'est un piège j'en suis sure. Je veux rentrer.

De retour chez nous, nous trouvons les deux frères de Wajdi et sa sœur venus nous embrasser. Quelques minutes à peine s'écoulent et Majed reçoit un coup deléphone de sa femme, restée chez eux dans les hauteurs de la ville. Les soldats redescendent, deux de leurs voisins sont blessés.

C'était il y a une heure et demie. Maintenant, Naplouse est de nouveau vide et silencieuse.

vendredi 4 janvier 2008

34 ème heure d'invasion




Comme prévu les parties de cartes ont du succès, surtout depuis que l'électricité à été coupée. Les poubelles s'entassent, les enfants s'impatientent, les vivres diminuent, ma belle mère est de plus en plus fatiguée, les tensions dues à la vie en communauté et l'enfermement augmentent.

En clair : 34ème heure d'invasion.

Aujourd'hui une quarantaine de blessés, le même nombre d'arrestations.

Enfin ne nous plaignons pas, nous bénéficions d'un large choix de divertissements. Nous profitions d'un très spécial "son et lumière", les feux de la rampe sont braqués sur nous...
Plus de lumière, plus de télévision... Nos nouveaux colocataires ont la solution, grâce un super projecteur illuminant toute la vieille ville, quelques fusées de détresse et autres fumigènes colorés. Différentes pétarades font office de bouquet final comprenant diverses sonorités, rythmes et vibrations, si ce n'est que le feu d'artifice s'éternise un peu. Comme en plus nous avons la chance d'être les voisins d'un "QG" semble-t-il, nous profitons des allées et venues de toutes les bidasses du coin, parfois de leurs chiens, de leurs innombrables cartons...

Ce spectacle n'est jamais sans provoquer de nombreuses émotions chez nous : si les cartons montent "ils vont rester encore longtemps", si les cartons descendent "ils sont sur le point de partir". Quand un fourgon arrive, nous trépidons "il est venu tous les chercher", si quinze militaires en descendent "ils ramènent des renforts, ça sent pas bon". Comme nous les avons entendu planter des clous une bonne partie de la nuit, ça a nourrit nos polémiques "ils doivent installer leurs équipements informatiques", "ils peuvent tout contrôler d'ici, ils enregistrent les téléphones", "ils ont des espèces de gros radar, je les ai vu !". Bien sur nous avons entretenu le sempiternel "mais combien ils sont là dedans ?" car leur décompte à le grand intérêt de nous occuper. Vraisemblablement, alors qu'ils étaient une petite dizaine hier matin ils sont environs une trentaine maintenant.

Le scénario est bien rodé, il est le même que celui d'El Ain il y a quelques semaines, je reconnais les mêmes étapes. Quelques nuances seulement, les maisons de la vieille ville étant toutes plus ou moins collées les unes aux autres, certaines familles se retrouvent né à né avec des soldats venus du ciel.
En tous cas venant d'un autre monde, un monde où on n’a aucune pitié, où on empêche les ambulances de venir chercher les blessés, où les mères doivent supplier pour récupérer les biberons de leurs bébés, où on refuse aux familles de s'enfuir. "Ça", c'est ce que mes yeux ont constatés en restant chez moi, alors ce qui se passe ailleurs...

Notre matinée à été consacrée aux négociations consistant à récupérer les médicaments de la petite dernière de Thaer (notre voisin réfugié chez nous), les biberons, les couches. Thaer voulait partir se réfugier chez ses parents, mais sa carte d'identité était aussi captive que son appartement. Chacun notre tour, nous avons essayé de l'obtenir. Ma tentative fut assez comique. J'ai commencé par me recoiffer et me brosser les dents "tu ne veux quand même pas essayer de les draguer ?" me demande Wajdi, "mais non, mais ça peut jouer...". Bon, j'allume une cigarette pour contenir ma nervosité, une seconde, je prépare mon plaidoyer, fume une troisième cigarette et je sors. Je sonne, pas de réponse, je sonne à nouveau et j'attends. Wajdi ouvre notre porte:

"- tu as sonné ?

-oui
-il n'y a pas d'électricité, ils ne risquent pas de t'entendre !"

Je frappe, quelques secondes plus tard un soldat qui n'ouvre même pas me demande qui je suis :

"-je suis la voisine, je, je... (je perds mon anglais) je voudrais récupérer la carte d'identité du locataire de cet appartement, parce que...

- plus tard

- c'est parce qu'avec sa femme et ses trois enfants, ça devient un peu serré chez nous, alors ça nous aiderait

- ...

- il y a quelqu'un ?

- ..."

Finalement en début de soirée, ils nous l'ont rendu en même temps que l'électricité. Mais de toutes façons il était trop tard pour essayer de partir, du coup nous sommes encore 9 dans un F3 pour la nuit.

L'avantage de vivre avec Wajdi et sa famille, c'est qu'ils ont l'habitude. Tout est prévu pour les cas d'urgence : un sac de 10 kilos de farine, un de riz, deux bouteilles de gaz d'avance, de l'eau, des cigarettes, des biscuits secs. Force est de constater que ça nous a été bien utile aujourd'hui, comme par hasard la bouteille de gaz du réchaud et celle du chauffage se sont trouvées vides en même temps. Nous n'avions plus de pain (base de l'alimentation), alors la maman de Wajdi s'est mise aux fourneaux ce matin : du pain et du zaatar et le petit déjeuner était prêt pour tout le monde !

Dans l'après-midi un groupe d'urgentistes est venu nous apporter du pain et vérifier si nous nous portions bien. Ça m'a donné une impression bizarre, il y a quelques semaines j'étais à leur place. Je pourrais aussi être à la place de Thaer, ils occupent son appartement, ça aurait pu être le mien.

Il faut dire que mon voisin n'a pas tellement de chance. Le mois dernier, il a fait importer de Chine tout un ensemble de composants électroniques pour son commerce de téléphones portables. Depuis prêt de 30 jours le container est bloqué aux douanes portuaires car il a été déclaré non-conforme. Pour chaque journée, l'espace qu'il "loue" pour ses produits lui coûte 400 euros et naturellement ils refusent de renvoyer le paquet.

Obtenir un salaire relève presque du miracle ici, qu'on soit commerçant, artisan, agriculteur ou qu'on travaille dans l'administration il y a toujours quelque chose : les douanes, les check-points, les invasions, les réquisitions, les aléas des soutiens économiques extérieurs.

Peu avant l'Aïd, le frère de Wajdi qui fabrique des meubles d'intérieur, a reçu une commande d'un salon de huit places. C'était inespéré, depuis des semaines il n'avait rien vendu, alors pendant une semaine il a travaillé sans relâche. Le jour de la livraison, après avoir attendu des heures au check point d'Howara, il s'est vu refuser le passage "les livraisons de marchandises sont désormais interdites ici". Il a rebroussé chemin, il a fait un détour et est passé par un autre check point. Quelques minutes avant d'arriver à destination il a été stoppé à nouveau : "vous ne pouvez pas aller plus loin, des collons attaquent les villageois" "nous vous interdisons l'accès pour votre sécurité". La location du camion et l'essence une journée de plus lui sont revenus à 800 shekels, la marge qu'il aurait du gagner.

Je ne comprends même pas l'intérêt stratégique de ces invasions. Qu'ils se rassurent, ici on crève déjà.

jeudi 3 janvier 2008

20h30 - 14ème heure d'invasion


3 janvier 20h30

Wajdi est finalement rentré, non sans difficulté vers 17 heures.

Impossible d'accéder à quelque maison que ce soit. Il a échappé à plusieurs reprises aux soldats qui n'hésitent pas à tirer sur n'importe quelle personne se trouvant sur leur chemin : journalistes, ambulances, urgentistes... Tous à la même enseigne, la seule conversation possible se résume à "dégage" et immédiatement après intervient un autre niveau de langage qui est celui du M16. Il existe une alternative qui consiste à réduire le temps de parole "vocal".

Wajdi qui a pourtant une triste habitude de ces situations trop souvent répétées, est décomposé : jamais la violence des militaires n'a été aussi crue. La recrue de la nouvelle année 2008 promet d'être savoureuse.

Une quinzaine de soldats se trouvent toujours postés dans l'appartement voisin et sur le toit et un véhicule blindé bloque l'entrée de l'immeuble. Notre voisin, sa femme et ses enfants sont venus se réfugier chez nous pour la nuit. L'armée les avaient envoyés dans l'appartement d'en face, mais il n'y avait pas assez de place pour tout le monde.

La traversée de quelques secondes c'est révélée être une vraie opération commando. Par téléphone nous nous mettons d'accord, nous guettons les bruits un moment, surveillons les allées et venues des militaires par la fenêtre, par le judas de la porte. Il y a approximativement 5 ou 6 mètres entre notre porte et celle d'où ils vont sortir. Première tentative : ouverture des portes le plus discrètement possible, le son de pas de bottes résonne dans les escaliers, on referme juste à temps. Quelques minutes plus tard la seconde tentative est la bonne. Je ne suis pas persuadée que nos occupants apprécieront cette affectation logistique s'ils s'en aperçoivent, mais bon.

Toute la journée mes beaux-parents et moi avons fait les 100 pas, les oreilles aux aguets, un œil sur la télé qui donnait quelques images et des informations sur la situation en direct, l'autre œil par la fenêtre ou devant le judas. Au moins maintenant on va avoir de l'animation avec les gosses qu'il va falloir occuper, je pressens beaucoup de dessins animés et de longues parties de cartes pour les adultes.

aujourd’hui jeudi 3 janvier, vieille ville de Naplouse, 13 heures

Aujourd’hui jeudi 3 janvier, vieille ville de Naplouse, 13 heures

Wajdi est finalement rentré, non sans difficulté vers 17 heures.

Impossible d'accéder à quelque maison que ce soit. Il a échappé à plusieurs reprises aux soldats qui n'hésitent pas à tirer sur n'importe quelle personne se trouvant sur leur chemin : journalistes, ambulances, urgentistes... Tous à la même enseigne, la seule conversation possible se résume à "dégage" et immédiatement après intervient un autre niveau de langage qui est celui du M16. Il existe une alternative qui consiste à réduire le temps de parole "vocal".

Wajdi qui a pourtant une triste habitude de ces situations trop souvent répétées, est décomposé : jamais la violence des militaires n'a été aussi crue.

Une quinzaine de soldats se trouvent toujours postés dans l'appartement voisin et sur le toit et un véhicule blindé bloque l'entrée de l'immeuble. Notre voisin, sa femme et ses enfants sont venus se réfugier chez nous pour la nuit. L'armée les avaient envoyés dans l'appartement d'en face, mais il n'y avait pas assez de place pour tout le monde.

La traversée de quelques secondes c'est révélée être une vraie opération commando. Par téléphone nous nous mettons d'accord, nous guettons les bruits un moment, surveillons les allées et venues des militaires par la fenêtre, par le judas de la porte. Il y a approximativement 5 ou 6 mètres entre notre porte et celle d'où ils vont sortir. Première tentative : ouverture des portes le plus discrètement possible, le son de pas de bottes résonne dans les escaliers, on referme juste à temps. Quelques minutes plus tard la seconde tentative est la bonne. Je ne suis pas persuadée que nos occupants apprécieront cette affectation logistique s'ils s'en aperçoivent, mais bon.

Toute la journée mes beaux-parents et moi avons fait les 100 pas, les oreilles aux aguets, un œil sur la télé qui donnaient quelques images et des informations sur la situation en direct, l'autre œil par la fenêtre ou devant le judas. Au moins maintenant on va avoir de l'animation avec les gosses qu'il va falloir occuper, je pressens beaucoup de dessins animés et de longues parties de cartes pour les adultes.