mercredi 16 avril 2008

Zorro

Il est au coin de la rue, il regarde les passants vacants paisiblement à leurs occupations, s'affairant aux négoces de la ville. Peut-être rêve t'il d'une autre vie. Peut-être pense t-il à sa femme avec laquelle il n'a pu passer une seule nuit depuis son mariage, pas même celle de leurs noces.

Des policiers l'aperçoivent, ils ouvrent le feu.

Il sort son arme et se précipite dans son domaine, la vieille ville. La course poursuite commence. Il est l'enfant de ces ruelles, le labyrinthe est la meilleure de ses protections. Les policiers sont des dizaines maintenant à ses trousses, ils virent les étals, mitraillent aveuglément, dégagent sans retenue les passants. Ils sont au cœur de la vieille ville, ils se regardent hébétés, le cavalier de la nuit s'est envolé. Ils sont furieux, ils crient, insultent les marchands, leurs ordonnent de fermer leurs commerces et tabassent les récalcitrants. Un passant prend peur, il court. Des policiers le rattrapent, le jettent au sol et lui tirent dessus. Peut-être plus tard lui demanderont-ils pourquoi il courrait.

Cette fois c'en est trop. La population est excédée, elle se regroupe et fait face à la police. Non. Non, vous ne continuerez pas à nous humilier de la sorte. L'oppression du peuple doit cesser. Maintenant. "Brigades ! Brigades ! Brigades !" Les coups partent, il y a des blessés. Encore.

Je comprends qu'il n'y ait pas de cinéma à Naplouse, quelle utilité puisqu'il suffit de vivre ici pour être dans un film américain. Le cavalier de la nuit ce n'est pas Zorro, désolée. Celui-ci est le chef de la brigade des cavaliers de la nuit, subtile nuance. Ce récit n’est pas un mauvais synopsis, c’est une après-midi à Naplouse.

10ème jour de l'escalade, à toute heure du jour ou de la nuit les affrontements éclatent. Hier à Balata, aujourd'hui dans le centre ville, tantôt les invasions sont palestiniennes, tant tard elles sont israéliennes, elles sont contre les résistants ou contre les manifestants et de façon générale les coups partent sur ceux qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment.

L'information circule à peine car la censure est absolue. Personne ne connait exactement le nombre de blessés d'un camp ou de l'autre, ni le nombre de personnes arrêtées par l'une ou l'autre des armées. Les plus opprimés s’insurgent et les rangs de la révolte gonflent de jour en jour. Hier le gouverneur de Naplouse à été attaqué, ses gardes du corps ont été blessés et sa voiture à été réduite en cendres. Les manifestations sont réprimées mais cette oppression ne fait qu’accroitre la fureur.

Un cercle de fumée entoure la lune ce soir, elle seule reste claire. Le phénomène est vraiment étrange, elle semble se détacher de notre monde. Si même la lune sombre dans le mélodramatique, alors…

mardi 8 avril 2008

le sens de l'humour palestinien

Il est 18 h 45, je sors de mon dernier rdv de la journée : organisation du camp d'été. Je n'arrive pas à attraper un taxi et comme je me dis que finalement un peu d'exercice me fera du bien, je décide de rentrer à pieds. Je m'engouffre donc dans les ruelles de la vieille ville.

J'entends un coup de feu, un deuxième, j'y prête à peine attention. Je vois des jeunes en veste kaki se diriger dans la direction inverse de la mienne. Wajdi m'appelle, je l'entends à peine: "where are you ? don't go back home by foot... too late" la communication coupe, il n'y a pas de réseau dans la vieille ville. Des cris et de nouvelles explosions retentissent. Des dizaines de jeunes crient "homo": bâtards, comme ils le font d'habitude contre les soldats israéliens, mais je sais que cette fois c'est contre les forces palestiniennes.

Il y a trois jours, suite à un passage à tabac, les résistants se sont enfuis de la prison palestinienne dans laquelle ils sont détenus depuis janvier. Ils s'étaient rendus suite à un accord passé entre les autorités palestiniennes et israéliennes, promettant qu'il n'y aurait plus d'incursion s'il n'y avait plus de résistants. Mais les promesses politiques sont des mots aussi faciles à donner qu'à reprendre et les forces israéliennes se dédissent méticuleusement de tout engagement pouvant mener à un quelconque cessé le feu. Ils n'ont rien à y gagner.

C'est vrai que depuis les explosions s'étaient faites plus rares pendant la nuit. Logique puisqu'ils peuvent désormais pénétrer dans la ville en pleine journée pour exécuter n'importe laquelle de leur cible. A trois reprises le mois dernier ils ont assassiné à bout portant des habitants de Naplouse en pleine journée, sans même le moindre petit couvre feu.

Bref, reprenons le cours de mon récit. Je reçois un message de Wajdi "go home quickly it has fights between the authority and the resistance", sans rire. Enfin, j'arrive saine et sauve à la maison. J'attends Wajdi et me remplis l'estomac en écoutant le concert qui gronde maintenant sévèrement. Wajdi rentre et nous ressortons discrètement (les parents de Wajdi apprécient modérément ce genre d'escapade) dans le but de pouvoir porter secours aux victimes. Les premières ruelles sont absolument désertes mais de la rue principale non entendons un groupe de jeunes scandant "l'autorité sur ma bite" (la version originale est beaucoup plus poétique en arabe m'affirme Wajdi). Nous arrivons jusqu'à eux, une cinquantaine peut-être, défilant au pas sur cette cadence.

Wajdi toujours aussi rassurant me dis «they have Kalachnikov, it's not like the M16, if they shot you, you die immediately". Et "bam", un coup dans notre direction, heureusement seul le flash nous atteint. La situation se calme, nous achevons notre traversée qui aboutit sur la place des martyrs (place centrale de la ville).

J'ai comme un choc : des centaines de soldats palestiniens postés à chacune des entrées de la vieille ville, armés jusqu'aux dents et beaucoup cagoulés. L'un d'entre-eux nous accoste: "vraiment il se passe quelque chose dans la vieille ville ? Je ne suis au courant de rien" nous dit-il. Il a le temps de faire de l'humour au moins. Ils viennent d'envahir un immeuble, celui d'un résistant parait-il. Ils ne tarderont pas à s'attaquer au notre puisque c'est une habitude des autres. Plus loin, un soldat pousse la plaisanterie jusqu'au bout : "erjah" (reculez) nous crie t-il, le mot préféré des forces israéliennes. J'aperçois une famille sur le trottoir aucun doute : c'est bien une invasion.

Nous glissons dans une folie générale, il n'existe plus aucun repère, tout cela est absurde.

Il est maintenant 10 heures, il y déjà pas mal de blessés. A intervalles irréguliers, résonnent grenades ou fusillades et les "Allah Ouakbar" se perdent dans la nuit.